Formation des métastases, une collaboration cellulaire à déjouer

Les mécanismes qui permettent aux cellules tumorales de se déplacer, puis de former des métastases dans un organe sont nombreux et loin d’être encore tous connus. L’équipe labellisée par la Ligue contre le cancer et dirigée par Jacky Goetz, à Strasbourg (67), a mis en lumière le rôle majeur de cellules du sang et des vaisseaux dans ce processus complexe.

Juin 2025 (n°406) – Texte : Chloé Dussère
Temps de lecture : 10 minutes

 

La formation de métastases correspond au stade 4, le dernier du développement des cancers. Encore difficile à identifier de manière précoce, cette progression métastatique reste en grande partie un écueil thérapeutique et les métastases sont à l’origine de 90 % des décès. Comprendre comment se forment les tumeurs secondaires et découvrir des cibles pour bloquer ce processus est un enjeu majeur de la recherche en oncologie. Le Tumor Biomechanics Lab (unité Inserm 1109, Université de Strasbourg), dirigé par Jacky Goetz, a publié récemment deux études qui dévoilent la façon dont des cellules du sang et de la paroi des vaisseaux aident la progression métastatique. Ces données, obtenues à partir de modèles animaux, ouvrent de nouvelles perspectives thérapeutiques à développer.


Des pérégrinations périlleuses
La formation de métastases dans un organe distant est l’aboutissement d’un long « voyage » pour les cellules tumorales issues de la tumeur primaire. L’équipe du Tumor Biomechanics Lab s’attelle, depuis une quinzaine d’années, à décortiquer les étapes de ce parcours après que les cellules sont entrées dans la circulation sanguine. « Il faut avoir à l’esprit que lorsqu’elles quittent la tumeur, les cellules tumorales circulantes (CTC) vont se retrouver dans un environnement très hostile. Leur survie et leur arrivée “à bon port”, c’est-à-dire dans l’organe distant à coloniser, dépendent notamment du comportement d’autres cellules et de l’aide que celles-ci vont leur apporter », schématise
Jacky Goetz.

Lorsqu’elles quittent la tumeur, les cellules tumorales circulantes (CTC) vont se retrouver dans un environnement hostile. »

Jacky Goetz, chercheur au Tumor Biomechanics Lab

Plaquettes et protection

Parmi leurs récentes découvertes, les scientifiques strasbourgeois ont mis en évidence le rôle clé des plaquettes sanguines, sorte de gardes du corps des CTC. « Les plaquettes vont se fixer sur les CTC grâce à des récepteurs présents à la surface des cellules, un peu comme du velcro. Elles entourent les cellules
tumorales et les protègent pour progresser dans les vaisseaux où s’exercent différents types de force physique, capables de détruire les cellules. Les
plaquettes agissent aussi en faveur des CTC en inhibant localement le système
immunitaire »,
détaille Jacky Goetz. Elles joueraient aussi le rôle d’ancres en aidant les CTC à s’attacher à la paroi des vaisseaux sanguins et à s’arrêter pour s’échapper de la circulation (une étape de sortie nommée « extravasation »), avant d’entrer dans l’organe où elles pourront se multiplier.

Exfiltration sous influence
Lors de l’extravasation, un autre type de cellules vient prêter main-forte aux CTC, celles qui tapissent l’intérieur des vaisseaux et qui forment l’endothélium. Des travaux du Tumor Biomechanics Lab, menés chez l’embryon de poisson zèbre, ont permis entre autres de montrer que les CTC augmentent le flux d’ions calcium qui entrent dans les cellules endothéliales qui changent alors de forme. « Il y a un remodelage de l’endothélium, avec la formation de protrusions, qu’on pourrait comparer à des petits bras qui enserrent les CTC. Grâce à cette interaction, les CTC sortent des vaisseaux sanguins, explique Jacky Goetz, qui souligne que ces observations restent à confirmer. L’embryon de poisson zèbre est un modèle qui présente divers avantages, notamment sa transparence, précieuse pour visualiser des cellules rendues fluorescentes, par exemple. Mais il est nécessaire de reproduire nos résultats sur des modèles de souris dont la biologie est plus proche de celle des humains. »

Thérapie antimétastases, la piste du repositionnement

Perturber les interactions des cellules tumorales circulantes (CTC) avec les plaquettes ou les cellules endothéliales peut permettre d’agir sur la formation des métastases. Et pour ce faire, il existe déjà des molécules connues, comme le glenzocimab, un anticorps qui a fait l’objet d’essais cliniques contre l’AVC. Il bloque l’adhésion des plaquettes aux cellules tumorales et freine le développement de métastases chez la souris. La nifédipine, un inhibiteur calcique prescrit de longue date dans le traitement de l’hypertension artérielle, s’est révélée capable, chez le poisson zèbre, de réduire le remodelage de la paroi vasculaire et ainsi l’extravasation des CTC. Des données expérimentales prometteuses qui devront faire l’objet d’autres recherches afin de confirmer si ces molécules peuvent produire les mêmes effets chez les patients.