Ligués contre le cancer

Dossier 100 ans : L'image sociale du cancer

Un regard sur le cancer qui évolue dès l’entre-deux-guerres

Fléau
Image sociale
Société

26/06/2023

« L’un des principaux enjeux de la Ligue, à sa création, en 1918, est de faire prendre conscience de la dangerosité d’une maladie qui va devenir le fléau des temps modernes. Alors que la durée de vie moyenne s’allonge et avec elle son incidence, le cancer reste au second plan, loin des préoccupations de la société à l’égard de la tuberculose et de la syphilis. La Ligue va développer une pédagogie de la crainte salutaire, avec un discours terrorisant, comme en témoigne la campagne : “Tuez le cancer avant qu’il ne vous tue”. Ce qui va jouer un rôle important dans l’émergence de la peur sociale de la maladie. La représentation du cancer fléau renvoie aussi à celle de la médecine moderne en train de se construire, le traitement du cancer devenant un vecteur d’innovation, de transfert de connaissances, qui inscrit les pratiques médicales dans l’ère industrielle. La cancérologie dessine alors une nouvelle forme de médecine de plus en plus dépendante des progrès de la technologie, nécessitant la coalition de compétences spécialisées multiples et offrant un débouché aux industries de pointe. Un travail sur les mentalités se met alors en marche.

Le contrôle de la maladie reposant sur un diagnostic précoce, il faut éduquer les individus pour qu’ils deviennent des “patients sentinelles”, capables de repérer sur leur corps les signes précoces de la maladie. Cette dimension civilisatrice sous-jacente à la politique de lutte contre le cancer entend faire de chacun un auxiliaire médical, capable de percevoir son corps comme un objet clinique. Cette nouveauté va s’imposer dans la seconde moitié du XXe siècle, à mesure que les enjeux médico-scientifiques se déplacent du traitement des maladies aiguës vers celui des maladies chroniques. Ce qui pose la question très contemporaine de la place de l’expérience de la maladie dans la médecine et du statut de la personne malade. »

Patrice Pinell,

sociologue et directeur de recherche émérite à l’Inserm

Le cancer dans l’art


Dans son n° 366, le magazine Vivre consacrait son dossier au cancer dans la littérature et au cinéma.

On y apprenait notamment que le cancer est absent des œuvres romanesques jusqu’à la fin du XIXe siècle, alors même que son existence est connue depuis Hippocrate. Et qu’il apparaît dans le 7e art dès son envolée dans les années 20, au moment de la naissance de la Ligue. Sélection des quatre œuvres les plus emblématiques, selon Patrice Pinell.

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LITTÉRATURE
La Mort d’Ivan Ilitch de Léon Tolstoï (1886)

Le personnage éponyme est un juge en pleine force de l’âge, mais atteint d’un cancer. La souffrance et l’approche du décès le forcent à regarder sa vie en face, à en mesurer l’inanité et à connaître ainsi une rédemption qui le réconcilie avec lui-même.
Mars de Fritz Zorn (1976)

Dans son essai autobiographique, Fritz Zorn, un pseudonyme qui signifie « colère », fait de son cancer à la fois le sujet de son œuvre et une maladie sociale, ainsi que le reflet de son éducation et de ses névroses dans une famille de la grande bourgeoisie genevoise. La maladie l’emportera à 32 ans, quelques semaines après la parution de son unique livre. Son véritable nom ne sera connu qu’après sa mort. Il s’appelait en réalité Angst (« peur »).

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CINÉMA
Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda (1962)

Une jeune chanteuse un peu frivole (Corinne Marchand) erre dans Paris en bus et en taxi, en attendant son rendez-vous de 19 heures pour l’annonce du résultat de ses examens. Elle cherche du soutien auprès de proches et ne le trouvera finalement qu’auprès d’un inconnu.
Cris et chuchotements d’Ingmar Bergman (1972)
Le réalisateur sublime le thème difficile de la fin de vie, transposé dans une riche et rigide famille suédoise de la fin du XIXe siècle. Aucun spectateur n’oubliera la scène christique où la domestique Anna, à moitié nue, tient dans ses bras Agnès, qui se meurt à petit feu.