Ligués contre le cancer

Psychologie

Troubles cognitifs : quand le cancer altère le cerveau

Troubles de la concentration, pertes de mémoire, ralentissement de la pensée… ces dysfonctionnements cognitifs sont désormais reconnus comme des effets indésirables possibles du cancer et de ses traitements.
Article paru dans Vivre N°385 de mars 2020.

Accompagnement
Cerveau
Concentration
Mémoire

01/06/2021

Qu’est-ce que le « chemobrain » ?

Chercher tout le temps ses mots, oublier une information que l’on vient pourtant de collecter, entrer dans une pièce sans savoir pourquoi l’on s’y trouve, ressentir une grande difficulté à organiser ses vacances, avoir du mal à suivre une conversation… ces petits « ratés » nous arrivent à tous, malades du cancer ou non. Mais quand ils deviennent récurrents et que le cerveau semble jouer de mauvais tours en permanence à une personne traitée pour un cancer, il peut s’agir de ce que les neuropsychologues nomment « chemobrain » (contraction de « chemo » pour « chimio » et « brain » pour « cerveau » en anglais) ou « chemofog » (« fog » signifiant « brouillard »). À distinguer de la conséquence d’une charge mentale trop importante ou même d’une dépression, cet état peut être très déroutant pour celui qui le subit et pour les proches, aussi. Il peut se sentir seul face à ce problème dont il a honte, ressentir l’angoisse de ne jamais redevenir « comme avant » et même préférer un repli sur lui-même en craignant que ce dysfonctionnement invisible finisse par être perçu par son entourage.

Quelles sont les causes de ces troubles cognitifs ?

Si l’annonce du cancer, parce qu’elle plonge dans un état de choc, est l’une des causes du chemobrain, ce dernier est essentiellement lié à la toxicité de la chimiothérapie. Cette toxicité peut être soit directe si elle agit notamment sur les neurones, soit indirecte si elle entraîne des modifications au niveau vasculaire. Une autre hypothèse, encore à l’étude, mettrait en cause le cancer lui-même qui, induisant un état inflammatoire, provoquerait une réaction physiologique sous la forme de troubles cognitifs.

Que faire quand les symptômes apparaissent ?

Au même titre que les nausées, la fatigue et tous les autres effets indésirables des traitements et du cancer lui-même, il est essentiel de parler des troubles cognitifs à son médecin dès qu’ils sont ressentis. Il n’y a pas de honte à en parler, d’autant que la médecine reconnaît désormais ces troubles et propose en première intention des « consultations mémoire » destinées à évaluer précisément la nature des altérations cognitives. C’est le point de départ d’une prise en charge qui consiste à remobiliser sa concentration et sa capacité mémorielle. Ce travail peut passer par des ateliers animés par des neuropsychologues, comme ceux que propose l’association onCOGITE. Chaque malade est différent mais la plupart parviennent à retrouver leurs capacités cognitives à l’issue de ce travail.

Corriger les troubles cognitifs est indispensable
pour un retour à la vie après le cancer

Pr Dominique Jaubert, président du Comité départemental de la Gironde de la Ligue contre le cancer

« Les troubles de la mémoire gênent énormément les malades car ils entraînent un déficit de l’estime de soi et compliquent le retour à la vie professionnelle. Il y a quelques années, il n’existait pas de prise en charge de ces problèmes mais aujourd’hui, les oncologues peuvent orienter les patients vers un neuropsychologue qui analyse les troubles et propose une rééducation adaptée. Dans les Comités départementaux de la Ligue, les “ateliers mémoire” aident aussi les malades à entretenir leurs capacités de mémorisation. Notre Comité va également mettre en place, dès mars 2020, des ateliers de remédiation cognitive en partenariat avec l’association onCOGITE. »

INTERVIEW

Véronique Gérat-Muller, psychologue à l’Institut Bergonié de Bordeaux et fondatrice de l’association onCOGITE

Troubles cognitifs et cancer… le sujet est-il encore tabou ?
Oui. Je me suis rendu compte que le sujet était mentionné dans la littérature scientifique depuis les années 90 mais que les médecins n’en parlaient pas aux malades. Ces derniers ont l’impression de devenir idiots, incapables et, s’ils arrivent à dépasser leur honte et à évoquer le sujet en consultation, on leur répond souvent qu’ils font une dépression. C’est pour pallier ce manque que j’ai fondé onCOGITE, une association qui propose des ateliers de remédiation cognitive pour les patientes traitées pour un cancer du sein à l’Institut Bergonié de Bordeaux.


Y a-t-il des cancers et/ou des traitements plus agressifs que d’autres sur le plan cognitif ?
Oui, certaines chimiothérapies sont connues pour avoir un impact plus important que d’autres sur le cerveau. Parmi les patients qui se plaignent de troubles cognitifs, on trouve beaucoup de personnes traitées pour un cancer du sein. On entend aussi parler de ces troubles chez les populations touchées par un lymphome, souvent jeunes. Elles expriment une angoisse de performance importante, elles ont peur de ne plus réussir à traiter deux dossiers à la fois, à suivre une réunion… Ces troubles sont aussi constatés chez les personnes traitées pour un cancer hormonodépendant, par exemple le cancer de la prostate, une maladie qui touche une population vieillissante. Une personne senior peut être moins entendue quand elle parle de troubles cognitifs car ces dysfonctionnements sont souvent mis sur le compte de son âge.


Quels sont les facteurs de risque du chemobrain ?
Il existe un facteur génétique qui n’est pas commun à tous les patients et qui favorise le chemobrain. La réserve cognitive – un stock de neurones propre à chacun – est également en cause : plus on a l’habitude d’avoir une activité cognitive importante, moins on rencontrera de difficultés. C’est pourquoi il est important de se restimuler le plus rapidement possible, une fois la phase aiguë des traitements passée.

EN SAVOIR PLUS sur l’association onCOGITE, c’est ICI

TÉMOIGNAGES

« C’est rassurant de savoir que l’on n’est pas seul à perdre la mémoire pendant les traitements.»

Véronique, 62 ans

J’ai toujours eu une très bonne mémoire mais, pendant mon traitement pour un cancer du sein, je me suis mise à avoir des trous noirs. J’étais parfois incapable de me souvenir d’une chose dont mon mari ou ma fille venait pourtant de me parler. Et puis, à force d’arriver une à deux fois par jour, ce genre d’épisode est devenu vraiment gênant, comme un handicap. Comme nous avions d’autres urgences à gérer avec mon oncologue, je ne lui ai pas parlé de ces problèmes en particulier. Je me suis tournée vers la Ligue, qui m’a proposé de participer à des ateliers mémoire. Il y avait une bonne ambiance et cela m’a permis de sortir de chez moi, de faire de belles rencontres. Pour aller plus loin, j’ai décidé de participer aux ateliers de l’association onCOGITE qui proposent de travailler sur l’attention, plus que sur la mémoire elle-même. Aujourd’hui, j’ai l’impression de faire plus attention à ce que je fais et je me sers des différents outils abordés pendant les ateliers. Par exemple, pour ne rien oublier quand j’écris une liste de courses, je visualise mon parcours dans le supermarché.

« Quand on a un cancer, on est préparé à perdre ses cheveux, pas sa mémoire.»

Catherine – 55 ans

Quand j’ai dit à mon oncologue que j’avais parfois de gros trous de mémoire, que j’avais souvent du mal à trouver mes mots, elle m’a dit que certaines patientes s’en plaignaient aussi mais que ça passait au bout d’un moment… C’est en rencontrant d’autres femmes malades que j’ai compris que je n’étais effectivement pas seule à ressentir ces difficultés. J’ai alors contacté l’association onCOGITE et je suis leurs ateliers tous les mardis. C’est un rendez-vous que j’attends à chaque fois avec impatience car l’ambiance est bon enfant, on se soutient et chacun peut avancer sans jugement. Pendant une heure et demie, on enchaîne les exercices et j’en ressors épuisée. J’essaie aussi de continuer l’entraînement à la maison et j’ai l’impression de ressentir un bénéfice. Bientôt, je vais devoir arrêter les ateliers pour reprendre mon travail à plein temps et j’appréhende un peu…

« La prise en charge des troubles cognitifs devrait être intégrée au parcours de soins.»

Marianne – 41 ans

L’été dernier, alors que j’étais en traitement, j’ai commencé à avoir beaucoup de mal à trouver mes mots et à ne plus me souvenir de mes rendez-vous. Ces oublis avaient lieu plusieurs fois par jour, mais je mettais ça sur le compte de la fatigue. J’avais même des difficultés à suivre mon traitement : j’avais besoin de programmer de nombreuses alarmes sur mon téléphone pour penser à récupérer mes ordonnances, par exemple. Mon compagnon a été le premier à le remarquer. En se renseignant, il a découvert que ces difficultés pouvaient être liées au cancer. Comme je n’avais aucune envie que ces troubles menacent ma vie personnelle et professionnelle, j’en ai parlé à mon compagnon : ayant lu un article sur les ateliers de l’association onCOGITE, il m’a conseillé d’y aller. Je les suis désormais régulièrement. J’y ai appris que ce n’est pas tant la mémoire, qu’il faut travailler, mais la concentration. Alors, quand je dois retenir quelque chose d’important, je prends le temps de trouver des moyens mnémotechniques ou de me raconter une histoire pour m’en souvenir plus facilement. Je ne sais pas si j’ai progressé, mais mon compagnon ne me parle plus de mes trous de mémoire.

QUELQUES CONSEILS POUR ENTRETENIR SON CERVEAU

Illustrations Frédérique Vayssières

1 – Pendant les traitements, même si la fatigue peut décourager, il est important de maintenir une activité cérébrale au travers, par exemple, de lectures, de jeux et d’interactions sociales.

2 – En plus de l’esprit, il ne faut pas négliger le corps ! Une activité physique adaptée favorise l’oxygénation du cerveau, aide à reprendre confiance en soi et à lutter contre la fatigue.

3 – Créer des rituels, mettre au point un cycle d’actions qui s’enchaînent toujours de la même façon peuvent aider à la mémorisation. Par exemple : chaque journée commence par la préparation du petit-déjeuner, la prise de médicaments, la lecture des mails, le brossage des dents…

4 – Afin d’éviter les trous de mémoire, il est utile de mettre toutes les chances de son côté pour retenir une information. Il s’agit, par exemple, de prendre le temps de terminer une tâche avant d’en commencer une nouvelle, de trouver un point de repère sur le parking où l’on vient de garer sa voiture pour améliorer ses chances de retrouver sa place…