Ligués contre le cancer

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Briançon-Gap n’est pas une épreuve cycliste de haute montagne, mais la route qu’a dû emprunter Rachel Galon durant de longs mois pour soigner son cancer du sein.

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Transport

21/06/2022

« Dans ma tête, je crie à la mutilation. Je me cale derrière un taxi, je roule à 70. Je suis incapable de conduire. » Tandis que la route de montagne entre Gap et Briançon défile au ralenti sous les yeux gris-vert de Rachel Galon, ce 24 novembre 2020, les mots du chirurgien qui vient de la recevoir à l’hôpital de Gap résonnent atrocement dans sa tête : le cancer de « bas grade, avec chirurgie à déterminer et radiothérapie » annoncé lors des résultats de la biopsie implique finalement une pamectomie, une ablation du mamelon et de l’aréole. Et à présent, Rachel rentre seule chez elle à bord de sa Peugeot 2008 blanche. Direction un hameau en surplomb de la Durance, à 9 kilomètres de Briançon, où elle retrouvera ses deux filles et son époux. Rachel ignore encore que cette route, elle la fera bien souvent. Trop.

Pendant de longs mois, seule ou en taxi : 94 kilomètres de sinuosités pour traiter son cancer à Gap alors qu’elle est infirmière spécialisée en addictologie depuis vingt ans à Briançon, où elle ne peut être prise en charge. Briançon, sous-préfecture des Hautes-Alpes, 11 000 habitants au cœur d’une communauté de communes de 16 000 âmes. La voiture, la route. Comme si l’épreuve de la maladie ne pouvait s’entendre sans celle du transport. « Gap, on en a un peu soupé, quand même », dit aujourd’hui Rachel avec pudeur, dans l’éclat retrouvé de ses 47 ans, maintenant qu’elle est guérie, maintenant qu’elle en a fini avec la chimio et les rayons, maintenant qu’elle a repris le travail à mi-temps, qu’elle recommence à cuisiner et à skier, maintenant, surtout, qu’elle nous accueille pour se confier car elle « n’aime pas l’injustice ».

Ses déplacements au long cours, Rachel les a vissés dans sa mémoire, dans sa chair. Une saison en enfer : novembre 2020, une journée hebdomadaire à Gap pour les examens et les visites au radiologue et au chirurgien… 3 décembre, première opération puis un PET scan le 24 pour suivre l’évolution du cancer… 4 janvier 2021, curage axillaire et pose d’un PAC… Et puis le 13 au matin, elle souffre trop, est incapable de conduire. Eurêka, on lui propose enfin un bon de transport en taxi ! Lymphocèle, ponction, retour à la maison, surinfection, hospitalisation… Et ce n’est que le début du calvaire concernant ses trajets.

« L’épreuve de la maladie ne pouvait s’entendre sans celle du transport. »

Rachel Galon,
47 ans, infirmière


Le taxi, encore et encore, jusqu’en septembre 2021 : la route à lacets, difficile l’hiver… les feux alternatifs et les ralentissements… la peur d’être en retard… une chimio en deux phases entre Briançon et Gap entre février et juin… des déplacements de trois heures trente pour des séances de rayons de dix minutes à Gap tous les matins en août… La voiture, c’est usant, mais le taxi, nécessaire. « Pourtant, les professionnels n’y pensent pas systématiquement. Plein de gens n’en profitent pas. Et la Sécu est réticente à valider des bons soi-disant donnés trop facilement. » Rachel n’aura pas été préparée pour aller si loin. Elle éprouve aujourd’hui « un manque de respect ». Elle s’est sentie surajoutée au travail d’une équipe inconnue, elle-même prévenue seulement une semaine à l’avance de la programmation de sa chimio. Elle qui recherche « l’efficience plus que la parole » prône le renouvellement, à l’hôpital de Briançon, par des infirmières formées, d’une chimio initiée par un oncologue. Mais à Briançon, aucun ne passe plus, fût-ce une fois par semaine… Et aussi un développement du tissu associatif local pour se serrer les coudes. Car « tout est à Gap ». La route, encore. Sublime, ce matin, entre les lacets et le spectacle en mouvement du massif des écrins alors que Rachel Galon nous montre un tronçon du « parcours ».

Il y a une beauté sobre et franche dans la parole et les gestes de Rachel au volant. Une maîtrise. Une force. C’est l’impératif de son métier d’infirmière dans un hôpital « sous tension ». C’est son attitude face à la conduite de ses jours. C’est surtout le constat désarmant que, malgré l’écartèlement géographique dont ils ont été l’objet, elle et les siens, ils n’ont « pas arrêté d’être heureux ».