Ligués contre le cancer

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Sauver sa peau

Ismahane a quitté Alger et sa famille pour se faire soigner d’un cancer du sein à Marseille. En situation de grande précarité, elle est prise en charge par l’Armée du Salut, au sein du dispositif Entr’elles.

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21/12/2022

Ismahane a 46 ans, un splendide prénom d’origine égyptienne, un visage jovial et le regard tendre. Et aussi quelque chose que vous ne pouvez entendre : une voix rieuse qui porte en elle une grande douleur. Algérienne résidant à Marseille, elle possède un titre de séjour en bonne et due forme et est soignée à l’hôpital de La Timone pour un cancer du sein de type « agressif ». Actuellement logée à l’Armée du Salut, elle bénéficie du dis-positif expérimental Entr’elles, inauguré cet été avec le soutien de la mairie de Marseille, de l’État et de l’ARS* PACA, qui permet à l’association de loger vingt femmes.

« L’Armée du Salut m’a ramassée dans la rue et offert un toit. Je peux les considérer comme ma petite famille. » Comme le souligne Florence Bousquet, psychologue de longue date de l’association qui accompagne aujourd’hui la résidente,

« Ismahane a eu de la chance d’entrer dans le dispositif. Mais elle a fait le choix douloureux de laisser son mari et ses enfants en Algérie pour se soigner. Elle lutte pour sa survie, sa situation est très compliquée ». Les deux femmes se sont rencontrées par l’intermédiaire d’une assistante sociale d’Aix-en-Provence, qui a proposé la candidature d’Ismahane à Entr’elles. Jusque-là, elle était hébergée à Aix par la Croix-Rouge, mais comme ses soins avaient lieu à Marseille, elle perdait son temps, ses forces et son argent dans les transports.

« L’Armée du Salut m’a ramassée dans la rue et offert un toit. Je peux les considérer comme ma petite famille. »

Ismahane, 46 ans


Un cancer soigné tard à Alger


Ismahane vient et revient de loin. De Bab-el-Oued, exactement, vibrant quartier populaire du cœur d’Alger. Il y a deux ans, à l’occasion d’une mammographie de contrôle, on lui détecte des ganglions, mais sans y voir de danger immédiat. Erreur d’interprétation. Ismahane attend trop et c’est la catastrophe. « Je souffrais le martyre, je ressentais de l’électricité dans le sein. » Le temps passe. Son sein est de plus en plus rouge et l’inquiétude la ronge. Le soir, allongée, elle dit à son époux : « J’ai mal, j’ai peur d’avoir un cancer ». Elle décide de faire une mammographie dans un autre laboratoire. On l’interroge sur son hérédité. Il y a eu beaucoup de cancers dans sa famille, mais pas du sein. Une biopsie est pratiquée.

Le cancer est révélé, mais les mois défilent entre les différents rendez-vous médicaux. La chimio arrive tard. En 2022, les deux séances d’injection intraveineuse au-dessus de la main provoquent des brûlures sévères et n’ont aucun effet. « C’était l’impasse, le traitement ne marchait pas, le cancer progressait. J’ai pris mes économies, vendu des biens personnels et je suis venue à Marseille avec des papiers légaux. » Son mari l’accompagne en mars 2022 puis effectuera plusieurs allers- retours entre Alger et la capitale phocéenne. Mais il se fait voler son visa dans un supermarché et doit rentrer à Alger.

« Ismahane lutte pour sa survie, sa situation est très compliquée. »

Florence Bousquet, psychologue


Une difficile arrivée à Marseille


Pour Ismahane, seule dans une ville inconnue, la vie est rude. « J’allais dans les hôtels, je ne connaissais personne. Je voyais mon argent s’évaporer. Mais une amie de mon mari m’a aidée à avoir le service Pass. » Le service Pass – permanence d’accès aux soins de santé – a pour but d’aider les personnes en situation de précarité et d’exclusion en leur fournissant une couverture sociale. Ismahane peut désormais s’inscrire dans un parcours médical. Au même moment, elle rencontre une assistante sociale qui lui fournit un premier hébergement à Aix. Ismahane a désormais une adresse fixe et peut respirer. « Mais les premiers temps, c’était difficile. J’étais très déprimée, je ne parlais pas et je ne sortais pas. Et puis il y avait mes trois enfants… » Ismahane éclate en sanglots, puis reprend le fil de son histoire. « Mon parcours est trop difficile. C’est sombre, c’est long, c’est comme un couloir noir. Quand vous avez des enfants et des responsabilités, vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point c’est dur. »

Une prise en charge exemplaire


Si le soin appelle l’espoir d’une santé retrouvée, il appelle aussi la rencontre de belles personnes. « Le premier médecin que j’ai rencontré, je garde un grand souvenir de lui. Il s’appelle Léo. Si je n’avais pas été mariée, je serais tombée amoureuse de lui. Il est jeune et plein de vie. Il était à mes côtés. » Arrive une date importante : le 30 mai 2022. Ismahane reçoit sa première séance de chimio. Sept autres suivront, avant une ablation du sein en octobre.

« Je remercie Dieu et l’État français, je vais mieux. » Un ganglion est également détecté à l’autre sein. « J’ai supplié le médecin de me l’enlever. »

Mais le spécialiste lui fait comprendre qu’il ne faut pas paniquer et qu’il vaut mieux attendre les résultats du test génétique destiné à mieux connaître son terrain cancéreux. Depuis, elle se ménage, après avoir été hospitalisée vingt et un jours pour une infection. « Je ne sors pas trop. J’ai peur de tomber malade et de rater les séances de chimio. Si je sors, je porte deux masques. Je suis fragile à tout. Comme dit le médecin, mes globules blancs sont toujours dans la chaussette. »



2023, l’année de tous les espoirs


Les mois qui viennent sont importants à plus d’un titre pour Ismahane, maintenant que « les gros soucis sont en train de s’envoler ». Elle espère se promener dans Marseille et, pourquoi pas, cuisiner une succulente rechta et des sablés. Elle aimerait aussi travailler, puisqu’elle va en avoir l’autorisation médicale dans quelques semaines. Et, bien sûr, voir sa famille, qu’elle entend tous les jours au téléphone. Quand on l’interroge sur les rapports entre la France et l’Algérie, Ismahane a des mots magnifiques. « C’est comme un amour interdit. Ils s’aiment entre eux, mais ils ne s’aiment pas tout le temps. Tantôt ils se donnent des fessées, tantôt des caresses. Mais pour le moment, moi, j’ai besoin de caresses. » Ce soir, Ismahane dormira à l’Armée du Salut. « Elle pourra y rester le temps qu’il faut pour se reconstruire et se soigner », nous assure Florence Bousquet, qui tient à mentionner le travail exemplaire des éducatrices d’Entr’elles Léa et Véronique, les anges gardiens de la fragile Ismahane.

*ARS : Agence régionale de santé.