Ligués contre le cancer

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Manque de peau

Trouver un dermatologue dans le bassin de Vannes, sur la Riviera bretonne, relève du parcours du combattant. Éric Delaunay, 45 ans, bientôt guéri d’un cancer de la peau, peut en témoigner.

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23/09/2022

Eric Delaunay est quasiment né sur l’eau. À peine deux mois, ce quadragénaire tonique et souriant sommeillait déjà dans le berceau installé à bord du voi-lier familial. Rien de très étonnant, puisque c’est son père qui, en 1974, a fondé l’école de voile d’Arradon, dans le golfe du Morbihan, où il réside et travaille en qualité de chargé de mission auprès du directeur général des services de la communauté de communes Auray Quiberon Terre Atlantique.

La mer, Éric en a toujours fait son terrain de jeu. Dériveur, planche à voile, surf dans les vagues de Quiberon… « Il y a encore quelques années, j’étais toujours sur l’eau. 100-130 sorties annuelles. Avec 24 degrés et du vent, on ne sent pas venir les brûlures et on ne se méfie pas des UV. » En mars 2018, Éric n’a pas encore 42 ans quand il repère une bizarre excroissance sur son bras, comme un bouton. Le dermatologue qui surveille annuellement sa peau claire l’invite à enlever ce petit bout de chair. Après une première opération à Vannes, le résultat de la biopsie tombe : mélanome de type agressif. Éric rejoint la longue cohorte des personnes atteintes d’un cancer de la peau en Bretagne, région de France la plus touchée, « où les gens se protègent beaucoup moins qu’ailleurs ».

« Il y a encore quelques années, j’étais toujours sur l’eau. 100-130 sorties annuelles. Avec 24 degrés et du vent, on ne sent pas venir les brûlures et on ne se méfie pas des UV. »

Une prise en charge exceptionnelle


Conscient d’avoir été dépisté à temps, Éric n’est pas du genre à se plaindre et remercie spon-tanément le service d’onco-dermatologie du CHU de Nantes, en pointe sur les can-cers de la peau, de l’avoir remarquablement pris en charge après une deuxième opération de sécurité à Vannes. « Quand on te découvre un cancer, le protocole de soins est assez formidable. Pris en main et guidé pour tous les examens – échographies, scanners –, il te suffit de bien suivre les étapes. » Compte tenu de son âge, on lui prescrit de l’immunothérapie, à raison de trois injections d’Interféron par semaine pour doper ses défenses. Les effets secondaires ne sont « pas super », notamment une fatigue chronique qui le déstabilise dans sa vie quotidienne de sportif et d’homme actif : plus de surf, un décalage au travail avec les collègues, un suivi à Nantes par une infirmière psychologue pour éviter les épisodes dépressifs… Pour autant, Éric tient bon, d’autant plus que les examens se montrent rassurants. « Les chances de survie étaient plutôt de mon côté, je n’étais pas plus inquiet que ça. » De bonnes nouvelles qui font passer la pilule des déplacements à répétition à Nantes seul en voiture – 220 kilomètres aller et retour depuis Arradon sans remboursement des frais kilométriques par la CPAM et un mi-temps thérapeutique insuffisant. « Quand on met bout à bout les rendez-vous et les examens, et il y en a beaucoup au départ, tu es obligé de poser de nombreux congés – dix jours annuels pour me soigner. »

Seul pour la fin du protocole


En 2023, au bout de cinq ans sans récidive, le cancer d’Éric Delaunay sera derrière lui. Mais aujourd’hui, son inquiétude est tout autre : trouver un dermatologue à Vannes pour son contrôle annuel. Et à vrai dire, c’est le parcours du combattant. Fin 2019, à la fin de son traitement, le CHU de Nantes le renvoie vers son dermatologue de toujours, à Vannes. Mais le spécialiste n’est pas au courant qu’il le reprend, et surtout, il cesse la dermatologie clinique. Éric le voit cependant jusqu’en avril 2022, puis obtient le contact d’une dermatologue du centre hospitalier Bretagne Atlantique, à Vannes. Mais en juin, la femme providentielle lui annonce qu’elle part en congé maternité et qu’elle ne pourra pas assurer son suivi. Éric a en tête deux questions sans réponse : qui le suit aujourd’hui ? et qui le suivra à partir de 2023, à la fin du protocole ? La dermatologue lui a promis de l’aider en sollicitant un cabinet spécialisé… mais à ce jour, on n’y prend personne. Éric reste serein. « J’attends la confirmation que normalement, je serai bien pris par un dermato. C’est l’enfer. Un copain a dû pousser jusqu’à Redon, à plus de 50 kilomètres, pour voir quelqu’un. » Éric est donc passé d’une hyper-prise en charge au CHU de Nantes, qui allait jusqu’à gérer ses prises de ren-dez-vous pour les examens à Vannes, à plus rien.

« Quand on met bout à bout les rendez-vous et les examens, et il y en a beaucoup au départ, tu es obligé de poser de nombreux congés : dix jours annuels pour me soigner. »

Une injonction à l’hyper-responsabilité


Au-delà de la contrariété, un problème à la fois social et très humain se dessine. « Si vous n’êtes pas acteur de votre parcours de soins, c’est vite compliqué. Si moi j’arrête de prendre rendez-vous aujourd’hui, personne ne viendra me chercher : à Nantes, je suis sorti des radars et aujourd’hui, mon dermato est en cessation d’activité… pour éviter les récidives, ce n’est pas bien. » Surtout quand plus personne ne vous prend au téléphone et que tout se gère désormais sur des plateformes Internet… Éric Delaunay, de par son métier et sa formation – une maîtrise d’histoire et un troisième cycle en communication – est lucide sur l’évolution de l’accès aux soins dans le golfe du Morbihan, la « Riviera bretonne ». Le secteur est victime de son succès, avec une surreprésentation des retraités sur tout le littoral qui prennent d’assaut les spécialistes. En nombre, il y a beaucoup de médecins, mais pas assez. Le phénomène a commencé en 2000 et s’accentue. Il va de pair avec l’augmentation du prix des biens immobiliers et la gentrification. « Au supermarché d’Arradon, les trois quarts des clients sont des retraités qui sortent une carte Gold à la caisse. » Quant aux médecins, ils ne veulent plus travailler comme avant : la plupart n’ont pas 40 ans et sont passés à quatre jours hebdomadaires.
Ainsi va la vie médicale dans cette zone privilégiée de la Bretagne sud. Pour l’heure, Éric s’y adapte, entre son travail au cœur de l’activité politique locale, la voile et le réchauffement climatique. Toujours sur l’eau, mais en pantalon, manches longues, chapeau et écran total sur le visage. Dans l’attente d’un rendez-vous avec un dermatologue. Peu importe lequel.