Ligués contre le cancer

Société

La santé, c’est du social

Par Patrick Castel, chercheur en sciences politiques au Centre de sociologie des organisations.
Article paru dans Vivre N°387 de octobre 2020.

Santé
Social

04/06/2021

Risque d’exposition au virus, vulnérabilité face à la maladie, différences de prise en charge, disparités matérielles… si la crise sanitaire actuelle est inédite, elle ne fait que mettre en lumière l’importance et le caractère multidimensionnel des inégalités sociales qui traversent notre pays depuis longtemps. Et souligne les risques spécifiques auxquels font face les populations les plus fragiles. La pandémie a révélé, en premier lieu, des disparités dans l’exposition au virus. En effet, le risque de contamination est plus élevé dans certains emplois exposés au contact avec les malades (personnel soignant) ou avec le public (secteurs de la santé et de l’action sociale, de l’agroalimentaire, du commerce et de l’industrie). Cette inégalité face au télétravail se cumule souvent avec le fait de devoir se déplacer en transports en commun plutôt qu’en voiture ou à vélo. En outre, les conditions de vie et la promiscuité peuvent accentuer le risque de contamination. La pandémie a aussi mis en évidence des disparités dans la vulnérabilité des personnes face au virus. Au-delà du facteur lié à l’âge, les comorbidités (obésité, hypertension artérielle, diabète, maladies coronariennes, pathologies pulmonaires chroniques) sont des facteurs aggravants de la pathologie et affectent davantage les populations les plus précaires.

Concernant la prise en charge et l’accès aux soins durant le confinement, on a pu observer des retards de prise en charge de soins urgents pour des pathologies à risque vital (cardiopathies, accidents vasculaires cérébraux), de même que des dépistages tardifs de cancers qui constituent une perte de chance pour les patients. La prise en charge des pathologies chroniques et la vaccination des enfants ont également largement diminué en ville pendant le confinement. Et les pathologies nécessitant des soins réguliers étant elles-mêmes traversées par des inégalités sociales, certaines populations moins favorisées ont pu pâtir plus que d’autres des difficultés de recours aux soins. Il s’agira de tirer un bilan sanitaire global du confinement afin de mieux préparer l’avenir et d’éventuelles autres crises à venir.

À tout cela s’ajoutent les conséquences économiques de la crise qui risquent d’accroître les inégalités matérielles. Certaines populations ont subi une baisse de leur revenu d’activité, d’aides et d’activités informelles (proches aidants) particulièrement importantes, associée à une hausse des dépenses, notamment alimentaires, seulement partiellement compensée par les aides publiques. Le problème, et la crise l’a rappelé, c’est qu’en France, la santé a tendance à être abordée essentiellement sous l’angle du cure, c’est-à-dire le soin aigu, en anglais (par exemple, retirer une tumeur, prescrire une chimiothérapie ou encore inclure des patients dans un essai clinique), reléguant au second plan la santé publique (la prévention et la promotion de la santé) et le care, c’est-à-dire le sens que l’on donne aux soins (le fait d’écouter les patients, de réfléchir aux conséquences psychosociales de leur maladie). Certes, les pouvoirs publics tentent de renforcer la prise en charge globale des patients.

La crise sanitaire ne fait que mettre en lumière les inégalités sociales qui traversent notre pays depuis longtemps

C’est d’ailleurs l’un des grands acquis des Plans cancer avec la création de la consultation d’annonce. Réalisée par un médecin acteur du traitement oncologique, elle représente un moment fort de la relation de confiance entre soignant et patient. Mais il reste du chemin à parcourir. Il est vrai que des réformes publiques ou de nouvelles pratiques comme l’oncogériatrie poussent de plus en plus vers une prise en charge à la fois médicale et sociale (auxiliaire de vie à domicile, droit à l’oubli, réinsertion sociale…) et, donc, vers une réflexion pluridisciplinaire autour de l’après. Preuve que la prise en charge d’un patient doit sortir de la maladie elle-même. Le rôle des associations de patients sera la clé, demain, pour développer ce lien médico-social.