Ligués contre le cancer

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La force de se battre

Il y a des nouvelles qui ne sont pas bonnes à entendre. Surtout quand elles sont fausses. Marie-Josette Malzieu en a fait la cruelle expérience.

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Retour d'expérience

23/09/2022

C’est dans un coquet petit logement social sur les hauteurs de Mende, 12 000 habitants, perfecture de la Lozère, que nous reçoit Marie-Josette Malzieu. Cette frêle et élégante femme de 62 ans, ancienne garde d’enfants originaire de Haute-Loire et installée à Mende depuis une trentaine d’années, est soulagée d’être à l’heure à notre rendez-vous. Elle avait en effet peur d’être en retard car sa visite annuelle chez l’ophtalmologiste a été déplacée au dernier moment. « Pour Mende et tout le département, il n’y a que deux ophtalmos, impossible de changer de date. Surtout que je vois de plus en plus mal. » Il faut dire que Madame Malzieu est une femme de rendez-vous.

Il y a trois ans, elle en a raté un que son oncologue de l’époque lui avait annoncé comme inéluctable et qu’elle ne se plaindra pas d’avoir loupé : avec la mort. Fin février 2019. On suspecte un cancer du sein à Marie-Josette après une mammographie de routine réalisée avec un an de retard. Une IRM puis une biopsie sont effectuées, avant un scanner qui révèle des taches suspectes sur un poumon et sur une hanche. L’oncologue qu’elle consulte à l’Institut du Cancer de Montpellier, avec uniquement en main les résultats de la biopsie du sein, livre son verdict : « Il vous reste deux ou trois mois à vivre ». Marie-Josette écoute en silence la femme qui lui parle sans tact et surtout sans les investigations supplémentaires nécessaires. Son monde s’écroule. Elle ne verra plus ses trois enfants ni son petit-fils Kénoa. Elle rejoindra son époux décédé en 2011 d’un cancer des poumons. La science a parlé. Trop vite, assurément.

« Après l’opération, je me suis sentie partir. Puis j’ai réalisé : je suis là. »

À quoi bon se soigner ?


Le résultat psychologique d’un tel verdict est désastreux. Marie-Josette se déprécie, songe à ne pas se soigner. Et d’ailleurs, pourquoi le faire si l’on ne vous donne que trois mois à vivre ? « J’étais en vrac, heureusement qu’il y avait ma fille. » Étonnamment, c’est le chauffeur VSL(1) qui la conduit de Mende à Montpellier qui va la requinquer. N’ayant pas peur d’affronter l’administration et avec l’accord de Marie-Josette, qui ne veut plus voir l’oncologue aux funestes augures, il demande à l’Institut du Cancer de Montpellier qu’on lui change de spécialiste : le professeur Jacquot, désormais, s’occupera d’elle.
Comme le cancer est agressif, il faut aller vite et procéder à des examens complémentaires : biopsie du poumon et de la hanche, « atroce, comme une perceuse qui vibre sur l’os ». Résultat : un cancer du poumon, mais rien aux os. Marie-Josette entame une chimiothérapie à Montpellier. « Deux heures de route après la chimio, je vous dis pas. » Le 18 octobre, huit ans jour pour jour après le décès de son mari, elle est opérée au CHU Arnaud de Villeneuve, où elle subit une ablation du sein droit et de la moitié d’un poumon. « Après l’opération, je me suis sentie partir. Puis j’ai réalisé : je suis là. » Début 2020, ce sont des rayons quotidiens à Rodez. La route, encore. Et les forces qui reviennent.

Oublier et revivre


Il y a un temps pour les choses. Pour pardonner et tourner la page de la violence verbale médicale. « J’ai oublié l’oncologue qui m’avait prédit ma mort dès que j’ai vu que j’allais mieux. Mais je n’ai jamais voulu aller la revoir, même pour lui dire : vous voyez, je suis toujours là. »
Il y a également un temps pour rompre avec l’idée de fatalité. « J’étais traumatisée par le calvaire de mon mari. Lui était fumeur… moi aussi », confie-t-elle à voix basse, gênée.
Il y a, enfin, le temps du choix d’une vie nouvelle. Ce changement est survenu relativement tard dans la vie de Marie-Josette et coïncide avec la chronologie de sa maladie. Comme un appel d’air. « Je suis dans cette maison depuis trois ans. J’en avais assez de l’appartement de Mende, où a souffert mon mari. J’aurais dû partir avant mais je n’y arrivais pas. »
Mais plus que tout, il y a le temps de l’ouverture aux autres, comme une reconnaissance de dette en même temps qu’une célébration discrète de l’amitié et de l’amour. Car si Marie-Josette sait oublier, elle sait aussi se souvenir. Du chauffeur VSL devenu un confident, l’ayant « même invitée au restaurant ». De l’infirmière qui a pleuré dans ses bras le jour où elle a quitté l’hôpital après son opération. De ses enfants. De son petit-fils, qui revient comme un sésame dans son discours. D’une mystérieuse dame, qu’elle évoque à demi-mot et qui lui a conféré une force bénéfique. « Elle m’a beaucoup aidée, elle est toujours dans mon cœur et dans ma tête. » On n’en saura pas plus, sinon que Marie-Josette, qui a reçu une éducation chez les sœurs, n’est plus croyante depuis le décès de son mari.

« Il faut être plus fort que la maladie, vivre, ne pas se laisser balayer par son cancer. Enfin, je raisonne comme ça aujourd’hui, mais au début, que c’était dur… »

Le sens du verbe « se battre »

Marie-Josette se considère comme « une survivante », que rien n’a épargnée, ou presque. Pas même la Covid-19, contractée deux fois, dont la première avec une infection pulmonaire à la clé. « Être là, c’est pas banal, quand même. » Elle se sent aujourd’hui « en rémission » et interroge son parcours avec recul et sagesse : « Quand j’ai appris que j’avais un cancer, j’étais plus malheureuse pour mes enfants que pour moi. On se bat autant pour soi que pour les autres. »


Se battre ? « Il faut être plus fort que la maladie, vivre, ne pas se laisser balayer par son cancer. Enfin, je raisonne comme ça aujourd’hui, mais au début, que c’était dur… ». Marie-Josette se souvient d’une marche en Espagne aux côtés de sa fille, alors qu’elle était en chimio. La chaleur, la pente, les roches… « Mais j’y suis arrivée. » Une petite victoire, en vue d’une grande, qu’elle entrevoit aujourd’hui. En mars, le professeur Jacquot, qui continue de la suivre à Montpellier, a eu des mots chaleureux pour sa patiente : « Madame Malzieu, je vous adresse toutes mes félicitations. » Pourquoi ? se demande l’ancienne condamnée à mort. « D’être là. »

(1) VSL : véhicule sanitaire léger.