Ligués contre le cancer

Inégalités

La déficience intellectuelle à l’épreuve du cancer

Pascale Villard et Sylvie Manse-Soriano sont monitrices-éducatrices dans un établissement d’accueil médicalisé (EAM) de Montpellier, où elles s’occupent des résidents atteints de cancer. Rencontre.

Abandonnés
Accompagnement
Handicap
Inégalités
Prise en charge
Retour d'expérience

21/12/2022

« Statistiquement, les déficients mentaux ont la même probabilité d’avoir un cancer que le reste de la population », tiennent à rappeler les monitrices- éducatrices Pascale Villard et Sylvie Manse-Soriano, alors qu’elles nous reçoivent dans les chaleureux locaux de l’EAM Les IV Seigneurs, géré par l’association Adages, à Montpellier (Hérault). Un EAM couplé à une maison d’accueil spécialisée (MAS) pour les polyhandicapés, niché sur une colline en périphérie de la ville, près du pôle universitaire scientifique, qui accueille soixante-trois résidents ayant une déficience intellectuelle de sévère à profonde et pré-sentant de ce fait un âge mental entre 0 et 7 ans. Outre leur travail d’accompagnement – toilette, alimentation, suivi des activités –, Pascale et Sylvie sont amenées, avec leur équipe, à s’occuper des personnes atteintes d’un cancer.

Parcours


L’accompagnement, elles en ont une longue expérience. Pascale, 56 ans, est devenue accompagnatrice à 23 ans.

« Au début, par envie d’être dans l’altruisme, pas par charité. Puis j’ai reçu une formation de deux ans, pour me professionnaliser et faire les choses correctement. » Après avoir roulé sa bosse dans plusieurs établissements, elle prend ses fonctions en septembre 1995 aux IV Seigneurs. Vingt-sept ans dans le même EAM et toujours la même envie. « Quand on a choisi de faire ce métier-là, on se régale. » Sylvie, 50 ans, est quant à elle devenue monitrice-éducatrice en 1992, un peu par hasard. « Je me cherchais dans la vie, j’étais dans le commerce et ça ne me correspondait pas. Ma sœur, qui connaissait l’activité, m’a dit d’essayer. Je ne regrette absolument pas mon choix. » Aujourd’hui, les deux femmes travaillent ensemble au sein d’une équipe de sept personnes, avec toujours le même objectif : créer un cadre sécurisant, apaisant et harmonieux pour les personnes déficientes. Pour ce qui est de la prévention du cancer, c’est à elles deux qu’incombe l’observation de résidents qui, de par leur handicap, ne se plaignent pas, ainsi que les déplacements chez les spécialistes. Elles sont « les porte-parole de ce qui se passe au quotidien, le premier maillon de la chaîne pour alerter les infirmières quand il y a des doutes ou des choses récurrentes qui peuvent inquiéter ».

Oncodéfi


Ni infirmières ni médecins, Pascale, Sylvie et leurs collègues font le lien entre l’EAM et l’hôpital, aidées en cela par Oncodéfi, une association unique en son genre spécialisée dans la question du cancer chez les personnes déficientes intellectuelles et reconnue par l’Agence régionale de santé. Oncodéfi, projet à l’origine porté par un psychiatre, le docteur Bernard Azéma, un oncologue, le professeur Stéphane Culine, un anatomopathologiste, le docteur Daniel Satgé, et le professeur Jean-Bernard Dubois, ancien directeur de l’Institut du cancer de Montpellier-Val d’Aurelle (voir son témoignage p. 19), est constituée d’une équipe mobile qui aide les accompagnants peu familiers de la maladie et le personnel médical, qui n’est pas habitué à soigner ce type de population. Oncodéfi est donc la parfaite interface entre l’EAM et l’hôpital. « Deux mondes qui ne se connaissent pas toujours », précise Pascale en nous présentant un livret édité par Oncodéfi et intitulé Lucie est soignée pour un cancer. Un formidable outil à destination des résidents avec des dessins et des phrases simples, écrites par les personnes soignées, décrivant la réalité de la maladie et le parcours de soins : « je vais passer une radio », « je vais perdre mes cheveux », « on va me faire une piqûre »… autant d’explications qui favorisent une adhésion à un traitement qui ne va pas de soi.

Un livret édité par l’association Oncodéfi

(www.oncodefi.org)

Apprendre avec les malades


Actuellement, Pascale, Sylvie et leur équipe accompagnent trois personnes souffrant d’un cancer, dont une nouvelle résidente de 40 ans atteinte d’un lymphome. « Une maladie invisible, pour elle, qui ne comprend pas ce qu’elle a. » Chaque accompagnement est spécifique et requiert tact et patience. Ainsi avec ce résident atteint d’un cancer des testicules et manifestant des troubles du comportement qu’il a fallu mettre dans des conditions optimales pour qu’il accepte de quitter l’EAM et de se faire soigner à l’hôpital. Le résident étant un bon mangeur, un coca et quelques gâteaux ont facilité le contact avec Oncodéfi. « À la fin, il se rendait à la chimio comme s’il allait se promener », se souvient Pascale. Aujourd’hui guéri malgré une récidive, l’historique de sa prise en charge est exemplaire d’une collaboration réussie entre l’EAM, Oncodéfi et l’hôpital. Le bénéfice de ce type de suivi va également aux accompagnants des services de cancérologie, qui apprennent « à changer de regard sur les déficients mentaux », souligne Sylvie. Il en va de même pour les spécialistes, dont la qualité d’accueil a sensiblement évolué. « Au début, ils s’adressaient à nous plutôt qu’aux résidents, jusqu’à parfois nier leur présence. Aujourd’hui, ils s’adressent directement à la personne et nous laissent un peu de côté, ce qui est très bien. »

Sérénité


Pascale évoque avec émotion les appréhensions liées à leur premier accompagnement. « Au début, l’angoisse, c’était l’issue », et puis savoir comment « la personne allait vivre les soins, avec les symptômes provoqués par la chimio ». Mais les doutes se sont dissipés. Aujourd’hui, le résident va bien et a servi de boussole à l’équipe. Il a, à sa manière et sans le savoir, servi d’exemple et montré la nécessité d’une constante vigilance face à une population au vieillissement précoce, avec des risques de cancer importants. Difficile de ne pas y être sensible ; il règne un beau climat de sérénité aux IV Seigneurs, établissement « bienveillant » dirigé par la très respectée Michèle Matta. Les deux monitrices-éducatrices s’y sentent épanouies, à la bonne place et à la bonne distance. Comme le résume Sylvie, « être là pour les résidents, mais juste ce qu’il faut pour ne pas souffrir pour eux ».