Ligués contre le cancer

Psychologie

Fratrie, l’oubliée du cancer

Il est connu que la fratrie gère douloureusement l’ambivalence des émotions que suscite la maladie d’un frère ou d’une sœur. Et les mécanismes de défense psychique mis en place sont souvent «coûteux». Cela peut avoir des conséquences sur le développement psychoaffectif de l’enfant et sur la dynamique familiale. Un accompagnement est alors nécessaire dès l’annonce du diagnostic.
Article paru dans Vivre N°388 de décembre 2020.

Accompagnement
Enfant
Fratrie

04/06/2021

C’est un fait : la fratrie n’est pas au cœur des premiers échanges entre les parents et les équipes médicales et soignantes lorsqu’un enfant est diagnostiqué pour un cancer. Simplement parce que l’annonce est souvent vécue de manière extrêmement violente par les parents, qui vont généralement associer le cancer à la mort. L’enfant malade et sa survie deviennent ainsi leur centre d’intérêt principal. Et tout le reste (la vie de couple, de famille, les projets professionnels) va être balayé au second plan.


Pour autant, il est possible de rééquilibrer les relations familiales, en prévenant les risques de souffrance dans la fratrie. À ce titre, le médecin est le mieux placé pour orienter les parents vers un accompagnement pluridisciplinaire (assistante sociale, psychologue, associations…). Comme aime le dire Laurent Lemaître, psychologue au CHRU de Montpellier : « La maladie embarque toute la famille sur le même bateau pendant la tempête. L’enfant est sur le pont et prend tous les embruns. La fratrie est dans la cabine, un peu plus protégée, et les parents font la navette entre le pont et la cabine ».


Mais comment parler du cancer à la fratrie au moment du diagnostic ? Qui se charge de l’annoncer ? Les parents sont-ils suffisamment au clair avec les informations données par le médecin ? Quels mots choisir selon l’âge des enfants à qui l’on s’adresse ? Comment dire avec des mots simples quelque chose qui va bouleverser l’équilibre familial ? Chacun des professionnels de santé pourra mettre l’accent, au moment opportun, sur ces questions essentielles. Et donner des clés.

Voici deux situations d’annonce d’un cancer.

Cas n°1 : les parents annoncent eux-mêmes le diagnostic à la fratrie. Le plus important, c’est qu’il n’y ait aucun décalage entre ce qui est dit à l’enfant malade et ce qui est annoncé à la fratrie. Car cela peut être préjudiciable et source de tensions ultérieures. Mieux vaut tendre vers un seul et même discours, quitte à l’ajuster ensuite en fonction des âges au sein de la fratrie. Pour aider les familles à instaurer le dialogue et à trouver les mots justes, les services d’oncopédiatrie distribuent gratuitement des mallettes d’information contenant un certain nombre d’ouvrages pédagogiques qui seront de véritables supports de discussion pour la fratrie (lire notre article dans Vivre n° 386 page 14).

Cas n°2 : les parents souhaitent recevoir de l’aide pour annoncer le diagnostic. Le médecin et le psychologue peuvent proposer une consultation d’annonce en présence de la fratrie. Cela peut être un moyen de décharger les parents de cette lourde tâche ; et pour la fratrie, de bénéficier d’explications médicales et d’un temps de parole pour poser des questions. L’avantage, c’est que les enfants de la fratrie vont pouvoir projeter sur les professionnels de santé l’idée que ce sont eux, les responsables des dysfonctionnements familiaux (dus à des hospitalisations longues et des thérapeutiques lourdes imposées par le corps médical) et non leurs parents. Cela peut avoir un impact intéressant sur le vécu de la maladie à moyen et long termes.

À NOTER ! Des groupes de parole sont proposés aux fratries dans les centres de référence en oncopédiatrie. Et des salles de jeux sont ouvertes pour que les frères et sœurs s’y retrouvent.

Virginie Coussy-Charret,

présidente de l’association Lisa Forever

À la suite du décès de leur fille de 4 ans d’une tumeur cérébrale, Virginie Coussy-Charret et son mari ont créé en 2010 l’association Lisa Forever. Ses missions consistent à contribuer financièrement à des projets de recherche, à améliorer le quotidien des enfants à l’hôpital, ainsi que leur prise en charge pendant et après la maladie. Régulièrement, Virginie rencontre des familles. Elle voit à quel point la fratrie n’a plus un rôle central au moment de l’annonce. Et les parents n’arrivent plus à jouer leur rôle protecteur, leur rôle de pilier de la famille. Toute l’attention est centralisée sur la maladie et pour protéger l’enfant malade, le parent se fond dans un rôle de soignant, ce qui laisse peu de place à la parentalité pour l’enfant malade et pour la fratrie. Elle conseille alors de bien distinguer son rôle de parent et celui d’aidant en se faisant accompagner par des professionnels. Et de ne pas hésiter à faire appel aux associations qui œuvrent énormément pour l’accompagnement des familles en offrant, notamment, de vrais moments de répit et de rassemblement aux familles.

L’avis du psy
Laurent Lemaître,
psychologue au service d’oncohématologie pédiatrique du CHRU de Montpellier et membre de la Société française de lutte contre les cancers et leucémies de l’enfant et de l’adolescent (SFCE)
« En cas de greffe ou de décès, un suivi de la fratrie est primordial. »


En oncohématologie pédiatrique, les cancers qui touchent les enfants sont souvent des leucémies. L’une des thérapeutiques proposées est la greffe de moelle osseuse. Et, bien souvent, ce sont les frères et sœurs qui sont les plus compatibles pour être donneurs. La fratrie prend alors une place très particulière dans la maladie, ce qui n’est pas anodin. De nouvelles angoisses de mort peuvent surgir (du fait d’être très proche sur le plan cellulaire avec l’enfant malade). Dans ce cas, un suivi est nécessaire. Qu’en est-il de l’accompagnement de la fratrie quand le jeune patient ne survit pas (20 % de décès en oncohématologie pédiatrique) ? Il doit se poursuivre à domicile ou en consultation externe, car le donneur peut éprouver un sentiment de culpabilité. De même, il est important d’aider les parents, qui culpabilisent de ne pas avoir pu protéger l’enfant malade, à retrouver une place de parents compétents. On leur donne les clés pour rester vigilants à tout changement de comportement des frères et sœurs, aussi bien dans leur lieu de vie que dans les lieux de scolarisation ou de socialisation. Ce sont ces changements d’attitude chez les enfants, qui peuvent avoir valeur de paroles sur une souffrance psychique liée à la situation.