Philippe Bergerot
Président national de la Ligue contre le cancer
Installé depuis 1985 comme oncologue radiothérapeute à Saint-Nazaire, en Loire-Atlantique, j’essayais d’appliquer au mieux ce que j’avais appris pendant mes études et mes différents stages dans les services de cancérologie. Comme la plupart de mes confrères et consœurs, je m’adressais aux patients d’une façon assez paternaliste, comme médecin spécialiste en oncologie, car le mot cancer était tabou, nous étions souvent placés en position d’experts face à une maladie très souvent mortelle.
En tant que praticien, les premiers États généraux ont profondément transformé ma façon d’aborder les personnes malades. Ce jour-là, elles ont pu exprimer leurs attentes et nous dire à nous, soignants, ce qu’elles souhaitaient et attendaient de nous, et que nous devions désormais composer avec elles. Je crois qu’elles ont été entendues. Nous sommes nombreux à avoir compris l’importance de les écouter et de partager les décisions avec elles. À titre personnel, c’est devenu une priorité que j’ai souhaité enseigner aux jeunes internes que j’ai eu l’occasion de former. Pour moi, comme pour d’autres médecins, il y a eu un avant et un après ces États généraux du 28 novembre 1998.
Vingt-cinq ans de progrès, et après ?
Sur le plan collectif, les États généraux des personnes malades ont été porteurs d’avancées, comme la consultation d’annonce, les réunions de concertation pluridisciplinaire ou encore, plus tardivement, la mise en place du dispositif des patients ressources. En 1998, le traitement des personnes atteintes de cancer reposait presque exclusivement sur la chirurgie, la radiothérapie et l’oncologie médicale. Si la maladie était bien prise en charge, la personne en traitement, sans doute moins. Depuis, grâce au développement des soins de support, elles peuvent bénéficier également d’un accompagnement complémentaire qui ne se réduit pas au seul soutien psychologique. La Ligue y est pour beaucoup. Je crois que nous avons pris conscience des conséquences économiques et sociales de la maladie et de la nécessité d’être présents sur ce terrain-là aussi pour les personnes malades. Si l’utilité de cette action est désormais reconnue, nous restons mobilisés pour qu’elle bénéficie à l’intégralité des personnes malades, où qu’elles soient sur le territoire métropolitain et ultramarin.
Partout, au plus près des personnes malades et de leurs proches, la Ligue mobilise ses forces, incarnées par des équipes de salariés et de bénévoles plus que jamais motivées.
Du livre blanc au manifeste, le tournant militant
En améliorant le parcours de soins par l’expression de leurs besoins, les personnes malades ont prouvé l’efficacité des États généraux de 1998. Au sein de la Ligue, nous sommes fiers, vingt-cinq ans après, d’avoir de nouveau mis la lumière sur ces femmes et ces hommes qui vivent le cancer dans leur chair et sur ceux qui les aident au quotidien. Il y a vingt-cinq ans, nous avons réalisé un livre blanc qui traduisait pour la première fois les difficultés, les attentes et les espoirs des personnes malades. Aujourd’hui, nous devons aller plus loin en éditant un manifeste nourri de témoignages actuels pour dépasser les constats et passer à l’action. Il s’agit d’affirmer davantage la nécessité de prendre en compte les personnes malades et les aidants, non seulement dans le parcours de soins, mais également dans le parcours de vie, c’est-à-dire avant, pendant et au-delà de la maladie. Dans notre organisation même, au sein de la Ligue, nous allons intégrer encore davantage les personnes malades, y compris dans nos instances de décision, au siège comme dans les Comités. En créant aujourd’hui le collectif des personnes malades et des aidants qui sont mobilisés partout en France au sein des Comités, nous allons favoriser la remontée d’informations venant du terrain. S’appuyant sur une plateforme d’échanges dédiée, ce collectif va solidifier notre connaissance de la réalité pour affiner nos actions de plaidoyer. Cette initiative doit également faire progresser la démocratie en santé via la mise en relation des membres du collectif avec des soignants, des élus ou autres parties prenantes.
Le combat continue sur le terrain des inégalités
Si, en vingt-cinq ans, la prise en charge des personnes malades a évolué positivement, le nombre de cancers continue d’augmenter et les combats ne manquent pas. Sur le terrain de la recherche, par exemple, des progrès sont attendus concernant le traitement des cancers à mauvais pronostic comme les tumeurs cérébrales ou le cancer du pancréas… Nous déplorons également le fait que la prévention – sur le tabac, l’alcool, la dangerosité des produits sucrés… – reste le parent pauvre de la santé en France. L’un des rôles de la Ligue est d’appuyer la prévention, à travers ses campagnes auprès du grand public mais aussi auprès des populations les moins réceptives à la prévention, grâce à des messages et des canaux toujours plus ciblés. Et surtout, face à une maladie aussi discriminante que le cancer, la priorité doit être la lutte contre les inégalités. En France, toute une partie de la population reste éloignée des soins ou dans l’incapacité de se déplacer. Face à ce triste constat, la Ligue choisit d’aller vers les plus isolés, notamment via notre dispositif « Au fil de la Ligue ». Il s’agit d’apporter de l’information et des soins de support au plus près des populations, dans les hôpitaux, les salles d’attente et jusque dans les déserts médicaux avec nos camionnettes, voire à leur domicile ou par l’intermédiaire de partenaires ayant accès à ces publics. Partout, au plus près des personnes malades et de leurs proches, la Ligue mobilise ses forces, incarnées par des équipes de salariés et de bénévoles plus que jamais motivées. Parce que lutter contre l’isolement, c’est lutter contre les inégalités et faire un peu plus reculer le cancer. Par-dessus tout, c’est la devise de la Ligue !