Ligués contre le cancer

Pollution

Agir collectivement sur les causes environnementales du cancer

Quels liens entre cancer et environnement ? Tel est le point de départ de cette discussion entre Matthieu Schuler, directeur général délégué du pôle « Sciences pour l’expertise » de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), et Daniel Nizri, président national de la Ligue contre le cancer.

Débat
Environnement
Exposome
Facteurs de risque
Incidence des cancers
Pesticides
Sensibilisation

09/03/2023

40 % des cancers sont liés à des causes environnementales évitables… que vous inspire cette donnée ?

Matthieu Schuler : Il y a un véritable enjeu à s’interroger sur ces facteurs de risque, à envisager les moyens de les limiter, aussi bien collectivement qu’individuellement, de manière à diminuer la proportion de personnes touchées par le cancer. Car, si la médecine fait fort heureusement des progrès pour améliorer la prise en charge de la maladie, nous ne pouvons pas nous réjouir de l’augmentation continue de l’incidence des cancers.

Daniel Nizri : Ce chiffre soulève une question majeure : pourquoi ne fait-on pas tout ce qu’il faut pour limiter ces cancers pourtant évitables ? Je pense en l’occurrence que l’on n’a pas tiré toutes les conclusions de la pandémie que nous traversons. En effet, la crise Covid a fait connaître à tous la notion de comorbidité. On sait désormais que la malbouffe, la pollution ou encore la sédentarité altèrent la santé et sont effectivement en cause dans de nombreux cancers. Or, la prévention de ces risques était déjà présente dans les ambitions de santé publique du premier Plan cancer de 2003. Si toutes les mesures envisagées à l’époque avaient été réellement suivies par tous les acteurs concernés, la Covid n’aurait sans doute pas été aussi meurtrière et le nombre de cancers évitables serait probablement réduit.

« Les risques sont désormais connus,
il faut maintenant aller au-delà des constats. »

Daniel Nizri, président national de la Ligue contre le cancer

Où en sont les connaissances sur le lien entre pesticides et cancer ?

D. N. : Les pesticides sont mis en cause dans certains cancers de la prostate qui sont désormais reconnus comme maladies professionnelles pour les agriculteurs et nous ne pouvons que nous en féliciter. En revanche, au-delà des risques liés à l’épandage de ces pesticides, quels sont les effets sur la santé à plus long terme de ces substances qui se retrouvent dans les sols et donc dans notre alimentation ? Ces questions devraient être traitées au plus haut niveau politique. Or, les enjeux économiques et industriels ont trop tendance à limiter le courage des décideurs.

M. S. : Les règlements européens sont très clairs : l’usage des substances cancérogènes classées 1 (cancérogènes avérés) est absolument interdit. Mais il est pertinent de s’intéresser à la notion d’exposome, la prise en compte de la totalité des expositions environnementales subies par un organisme vivant. Dans le cas du cadmium, par exemple, un métal dangereux pour la santé, il ne s’agit pas de faire seulement attention aux doses ingérées mais de s’interroger sur l’incorporation de cette substance par le corps humain car le cadmium passe dans les os, et il s’y accumule. A contrario, le chlordécone se « décorpore » si l’on cesse de s’exposer à ce produit reconnu comme cancérogène. Certains chercheurs, comme l’épidémiologiste Paolo Vineis, considèrent également qu’il ne suffit pas de prendre en compte les risques chimiques, physiques et microbiologiques, mais aussi l’exposome social. En l’occurrence, l’environnement et l’état psychologique d’une personne quand elle est exposée à des facteurs de stress peuvent aussi avoir un impact sur la manière dont son organisme réagit.

D. N. : Cet éclairage social est crucial : on sait que les messages sur les dangers du tabac, s’ils sont connus de tous, poussent surtout les publics les plus diplômés à arrêter de fumer. De même, le cancer du col de l’utérus touche en priorité les populations éligibles au RSA. D’où l’intérêt de cibler nos actions en direction des publics les plus fragiles.

« Pour mesurer les risques, la prise en compte
des seuls taux d’exposition ne suffit pas. »

Matthieu Schuler, directeur général délégué du pôle « Sciences pour l’expertise » de l’Anses

Face à ces risques, y a-t-il, selon vous, une nécessité à agir collectivement ?

D. N. : Tout à fait et il y a déjà des exemples intéressants en matière d’efficacité collective. En Allemagne, notamment, la conception des nouveaux quartiers est pensée pour que toutes les générations puissent accéder au centre-ville à pied sans difficulté. C’est une décision des urbanistes, que d’induire la marche, dont on connaît les bienfaits sur la santé.

M. S. : Concernant l’activité physique, de récentes études réalisées à l’Anses révèlent que 30 à 40 % de la population est au-delà des valeurs sanitaires de référence. Pour remédier à cela, la prise de conscience individuelle est essentielle mais il semble également pertinent d’actionner des leviers collectifs qui peuvent être porteurs d’une grande efficacité, par exemple les choix d’aménagement urbain.